Demander pourquoi la croissance ne profite pas à tous n’interroge-t-il pas sur la nature même de cette croissance ?
Une croissance en France de 1,9 %, contre 2,4 % dans l’Union européenne
… qui repose essentiellement sur les mesures d’attractivité financière de ces dernières années (Cice, CIR, réduction massive de la dépense publique, loi El Khomri, etc.)
… et dont le tendon d’Achille est un chômage de masse qui ne parvient pas à baisser.
Une situation à rapprocher du déséquilibre de notre balance commerciale, qui affiche un déficit de 62,3 milliards d’euros, en hausse de 25 % par rapport à 2016.
Dès lors, la question essentielle à résoudre pour que la croissance profite réellement à l’ensemble de la société n’est-elle pas celle de son mode de production
tant sa répartition en est intrinsèquement dépendante, comme Karl Marx l’a souligné.
Aborder l’essor de la croissance sous l’angle de son utilité pour le développement des potentiels humains oblige à affronter l’enjeu de classe central qu’est aujourd’hui la prise du pouvoir sur l’argent, la Bastille de ce XXIe siècle naissant.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Depuis trois ans, la BCE a acheté plus de 2 400 milliards de titres sur le marché financier, dont des centaines de milliards de titres émis par la France. Cette même BCE injecte chaque mois 30 milliards d’euros que les banques de dépôt obtiennent à taux zéro, voire en dessous de zéro. En montant cumulé, les entreprises bénéficient de 220 milliards d’exonérations fiscales et sociales. À quoi sert cet argent ?
Ajouté aux énormes économies de moyens, notamment humains, que les choix capitalistes d’utilisation des nouvelles technologies permettent de réaliser, cela constitue des masses colossales d’argent qui s’accumulent, faisant peser la menace d’une tendance à la baisse du taux de profit.
Les détenteurs de ces capitaux tentent de juguler cette tendance en faisant pression sur les salaires et les dépenses publiques et sociales, c’est-à-dire en s’octroyant une part toujours plus grande de valeur ajoutée.
Dans ces conditions, une croissance qui profite à tous est impossible. Il faut d’autres choix.
Par exemple, augmenter la dépense publique pour créer et soutenir les services publics. Et pour cela, plutôt que de s’adresser aux marchés financiers, utiliser la capacité de création monétaire de la BCE pour doter un fonds de développement économique, social, écologique et solidaire réservé au financement, à taux zéro ou proche, d’investissements démocratiquement décidés dans chaque pays pour développer les services publics et de grands projets économiques accompagnés de créations d’emplois et des actions de formations nécessaires.
C’est possible avec les traités européens actuels. L’article 123-1 du traité sur le fonctionnement de l’UE permet à la BCE de financer des établissements de crédit.
Par exemple, en créant un pôle financier public avec la nationalisation de banques et en lui adossant un fonds national pour l’emploi et la formation décliné au plan régional afin de prendre en charge tout ou partie des intérêts d’emprunt contractés par les entreprises ou les collectivités, pour des investissements porteurs de créations d’emplois et de formations.
Par exemple, en proposant une réforme de la fiscalité des entreprises qui les responsabilise socialement et territorialement, articulée à de nouveaux pouvoirs d’intervention des salariés dans les gestions.
Un million d’emplois créés, c’est 80 milliards de valeur ajoutée en plus et 40 milliards de recettes en plus pour l’État et la Sécurité sociale. Voilà de quoi rendre la croissance utile à tous, voilà de quoi éviter un futur krach que les actuels soubresauts des bourses font craindre. Voilà une réaction utile à la note de Patrick Artus.